Climat, 7 manières de ne pas se tromper soi et son monde avec

Dans le débat public sur l’énergie, la priorité doit être de hiérarchiser ce qui est important pour nous : climat, emploi, santé, pouvoir d’achat, compétitivité… et non de se focaliser sur les moyens à disposition, d’autant plus qu’on ne donne pas aux Français les indicateurs permettant d’évaluer leur efficacité. Par Myrto Tripathi, conseillère du président, Business and Climate Summit

La Chine a son plan quinquennal, nous avions le Commissariat au Plan. Digne héritière, la Programmation Pluriannuelle de l’Energie (PPE) fournira un cadre stable au déploiement de la politique énergétique de la France. Fin décembre, elle entérinera des choix sur lesquels il sera difficile et coûteux de revenir. Mais les bons choix se font sur les bons indicateurs.

Une planification long terme bénéfique mais qui ne tolère pas l’erreur

Pour atteindre les objectifs fixés dans la PPE, la force publique dispose d’outils : règlementations, subventions, obligations légales, financements publics, destinés à pousser les consommateurs et les entreprises à changer leur manière de faire. La PPE revient donc à décider à quoi seront dépensés notre argent, notre temps et notre énergie, qui ne seront pas dépensés ailleurs et d’autant plus que le changement concerne beaucoup de monde, d’usages et d’infrastructures : il faudra fabriquer, démanteler, construire, expliquer, inciter, surveiller, transporter, jeter. « Changer tout » coûte cher : pourquoi pas mais il ne faut pas se tromper.

Heureusement, une fois nos objectifs fixés et hiérarchisés, les moyens de les atteindre en découleront naturellement car, la physique imposant ses lois, l’évaluation de leur efficacité laissera peu de place à l’interprétation. Oui, à condition qu’une méthodologie rigoureuse éclaire la réalité physique et nous évite de financer des mesures contre-productives.

De l’importance de distinguer les moyens des objectifs qu’ils servent

La plupart des objectifs font consensus : moins d’empreinte environnementale (climat, pollution, occupation des sols, déchets), plus d’indépendance, d’équité (coûts, accès), de contribution à l’économie, à l’emploi et la fiabilité du service rendu. D’autres sont débattus telle que la liberté de choisir en-dehors des choix collectifs. Leur hiérarchisation va conduire aux décisions sur les moyens : le type d’énergie consommée et la manière dont nous la consommons et l’économisons.

Par exemple, avoir pour objectif de réduire nos émissions nous incitera à vouloir limiter notre consommation de gaz. Celui-ci étant surtout utilisé au chauffage, on cherchera à pousser les gens à isoler leur logement : soit en avantageant fiscalement ceux qui s’équipent pour limiter leur consommation à température ressentie égale, le choix de l’équipement leur étant laissé, soit en subventionnant l’achat de double vitrage. Dans un cas, le moyen employé pour répondre à l’objectif Isolationest de changer la porte qui bâille, dans l’autre, il est de mettre du double-vitrage, même si la porte bâille. Si le gouvernement nous disait vouloir une France 100% double-vitrage, on rigolerait bien. Surtout si sa fabrication génère plein d’émissions.

Les choix énergétiques doivent être faits parce qu’ils répondent à des objectifs que la société se donne à elle-même pour préparer son avenir. C’est l’avenir l’objectif. Pas le double-vitrage.

Intégrer les émissions, toutes les émissions

Entre 1995 et 2015, la France a augmenté ses émissions de CO2 de 76%. Ce nombre incroyable dû à nos importations, absent des statistiques, jette une lumière aussi crue que cruelle sur le bilan de nos efforts.

Autre exemple : les émissions affichées d’un équipement ne sont que ses émissions à l’utilisation. Ainsi une grosse voiture électrique, ayant nécessité beaucoup de matériaux, fabrication, transport, maintenance va émettre moins sur le papier et plus en réalité qu’un petit diesel[1].

Basculer vers une analyse cycle de vie permettrait d’intégrer les émissions passées sous silence et souvent générées chez les autres. On trancherait factuellement entre les différentes solutions (et on relocaliserait aussi un peu).

 

Le kWh garanti, une unité qui rend compte du service rendu

La question de l’énergie est moins complexe que les batailles de chiffres le font croire en multipliant les termes (production, capacité, rendement etc.) et les qualificatifs. Elle vise un seul but : fournir des kWh quand et où on en a besoin. Ensuite seulement se posent les questions d’environnement, d’économie, de coût… Par exemple un éclair fourni beaucoup de kWh gratuits et naturels mais, comme nous ne savons pas les stocker, ils ne servent pas.

Ainsi, la PPE ne devrait pas retenir éclair dans les solutions possibles. C’est pourtant ce qu’elle fait en mettant à égalité les énergies intermittentes et les énergies de base. Les avantages, comme gratuit et naturel, et les inconvénients devraient être rapportés au service fourni : quels coûts, déchets, emplois, émissions par unité d’électricité disponible quand j’appuie sur l’interrupteur, par unité de chaleur quand j’ai froid. Un équipement produisant un kWh dont personne ne se sert, ne sert à rien. C’est une vérité simple mais incontournable.

Un cadre d’analyse actualisé

La réglementation thermique de 2012 impose une limite maximum de consommation d’énergie dans les bâtiments neufs. Elle utilise pour des raisons historiques liées au cheval-vapeur l’indicateur énergie primaire. Cet indicateur fait artificiellement que pour la même quantité imposée par la réglementation vous pouvez consommer plus de gaz que d’électricité pour la même quantité d’énergie finale. Les promoteurs immobiliers peuvent donc installer des chaudières à gaz plutôt que des électriques, vous poussant à consommer plus, et de l’énergie la plus polluante, plutôt que de s’obliger à faire des efforts d’isolation.

Des définitions précises : une tomate orange n’est pas une carotte

Pour se comprendre, les mêmes mots doivent dire les mêmes choses. Par exemple : l’expression énergie renouvelable renvoie dans l’imaginaire collectif à l’éolien et au solaire alors qu’elle signifie « à partir d’une ressource qui se renouvelle » et fait, souvent à plus de 70%, référence aux barrages hydroélectriques et aux bioénergies (bois, déchets organiques). Or par exemple les bioénergies émettent en moyenne plus de CO2 que le charbon[2].

Autre cas : la mesure capacité installée est préférée à production, alors qu’une éolienne par exemple ne produit en moyenne que 22% de ses capacités installées et un panneau solaire 14%.

Ensemble, ces deux abus de langage font que 37% d’énergies renouvelables dans le mix électrique[3] signifie qu’éolien et solaire ne produisent que 6,2% de l’électricité. La différence est significative.

L’indicateur climat ultime : un prix du carbone plus réaliste donc plus élevé

Comme le prix d’un vêtement intègre celui du fil, le prix des biens et services, dont le kWh, devrait intégrer le coût pour la collectivité de l’impact des émissions de CO2 qu’ils ont générées (à défaut du coût de collecte et traitement de ce déchet). Pour que ce coût influe sur notre manière de consommer (un produit ayant nécessité l’émission de beaucoup de CO2 devenant plus cher que son équivalent qui en a nécessité moins), son application doit être généralisée et son prix rendu représentatif des dommages. Nous pourrions alors nous appuyer sur cet indicateur universel pour intégrer la question du climat à nos décisions sans calcul ni débat supplémentaire.

Dans le débat public sur l’énergie, la priorité doit être de hiérarchiser ce qui est important pour nous : climat, emploi, santé, pouvoir d’achat, compétitivité, liberté de choisir etc. Elle ne devrait pas être de se focaliser sur les moyens à disposition, d’autant plus qu’on ne donne pas aux Français, à qui on pose la question, les indicateurs permettant d’évaluer leur efficacité.

Seule la transparence obtenue à force de rigueur permettra qu’une décision de cette importance reflète réellement les objectifs des français, débarrassée des dogmes et du greenwashing. Car une fois ces objectifs définis, c’est de la physique.

[1] https://www.connaissancedesenergies.org/idee-recue-les-vehicules-electriques-n-emettent-pas-de-gaz-a-effet-de-serre-140901
[2] https://www.ecologique-solidaire.gouv.fr/production-delectricite
[3] Mix électrique français en 2017 – http://www.rte-france.com/sites/default/files/2015_bilan_electrique.pdf

Lire l’article dans la Tribune 

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