26 fermetures prématurées de réacteurs nucléaires

Un vandalisme climatique à l’échelle mondiale

L’arrêt prématuré des deux réacteurs de la centrale de Fessenheim est un acte politique, décorrélé de la qualité ou de la performance de leur fonctionnement, de la centrale, du site, du territoire, mené à l’encontre de la volonté de ses habitants. Il vient de l’extérieur, il leur est « tombé dessus », « d’en haut » pour ainsi dire.

Il est important de le redire.

Mais même si son origine directe est une petite négociation de campagne électorale, elle-même n’est pas, non plus, un acte isolé, de politique nationale propre au contexte français et à ce qui serait une décision complètement souveraine de ses habitants. Il participe d’un courant politique, ancien, qui poursuit son déploiement à l’échelle mondiale. Néfaste pour le climat, néfaste pour l’environnement, néfaste pour les populations de la planète.

Cette seconde newsletter post-arrêt de Fessenheim vient compléter le panorama des actions que les Voix ont menées pour que cette fermeture soit autant que possible comprise par tous pour ce qu’elle est : un acte de vandalisme politique. Vous trouverez ici les éléments qui nous ont permis de la remettre dans une perspective plus globale et les photo-montages que nous avons réalisés et envoyés à la direction d’EDF leur demandant de bien vouloir envisager l’exercice pour les centrales du parc, et bien sûr aux employés de la centrale de Fessenheim eux-mêmes.

Bonne lecture.

Myrto, au nom des Voix,
née en 77, comme Fessenheim.
Trop vieille à 43 ans.

Information importante :

L’événement Stand Up for Nuclear 2020 organisé à Paris par les Voix aura lieu le dimanche 27 septembre (au lieu du 20 septembre précédemment annoncé)


Les Voix prennent leurs quartiers d’été pour quelques semaines. Nous vous donnons rendez-vous à la rentrée, qui s’annonce chargée en actualités et en débats autour des plans de relance français et européens, des politiques climatiques et de l’avenir énergétique.

Et le 27 septembre prochain, mobilisez-vous pour le climat, mobilisez-vous pour le nucléaire. Retrouvez-nous au Stand Up for Nuclear de Paris. 

Bonnes vacances à tous !


Florent Le Goux

Florent Le Goux

Ingénieur géologue

Coordinateur éditorial des Voix

Jadwiga Najder

Jadwiga Najder

Ingénieure nucléaire

Responsable développement
international des Voix

I. Tête baissée vers une crise de l’énergie bas-carbone

Moins 26 réacteurs en trois ans

26 réacteurs, plus de 25 GW de puissance bas-carbone produisant en base, et pour partie pilotable. De quoi alimenter en électricité 100% décarbonée un pays comme l’Australie pendant l’hiver austral, hors pics de consommation. C’est ce qui est en train de disparaître, en l’espace de 3 ans, de 2019 à 2022, sous la pression des groupes d’influence anti-nucléaires et du fait du délaissement voire de l’hostilité des politiques publiques(1). Alors même que 85% de l’énergie consommée dans le monde est encore issue du charbon, du pétrole et du gaz(2).

Infographie : Tanguy Firinga

…Après 10 ans de recul progressif du nombre de réacteurs

En ce mois de juillet 2020, il y a 439 réacteurs en opération dans 31 pays, représentant une capacité totale de l’ordre de 390 GW, et produisant environ 10% de l’électricité mondiale.

Au cours des dix dernières années, le nombre d’arrêts définitifs de réacteurs (64, dont 15 depuis 2019) a été supérieur à celui des mises en marche (60), même si la taille plus importante des nouvelles unités a permis une légère augmentation de la capacité totale installée. Les pays les plus concernés par les fermetures sont le Japon (25), l’Allemagne (11) et les Etats-Unis (10), mais neuf autres pays ont également connu des arrêts définitifs. La plupart de ces 64 fermetures sont le résultat de décisions politiques ou économiques biaisées, voire faussées. Elles ne se seraient pas produites dans un monde qui se préoccuperait sérieusement de l’avenir climatique, et où les bénéfices économiques et sociaux de ces réacteurs seraient évalués sur des bases systémiques et factuelles. 

Le parc nucléaire mondial existant potentiellement divisé par deux, en vingt ans

Il s’agit d’un risque cette fois, mais d’un risque bien réel.

L’Uranium Exchange Company (UxC)* dénombre 86 autres réacteurs, représentant 66 GW de puissance installée, dont la fermeture est annoncée ou étant à risque de fermeture d’ici à 2030. De surcroît, étant donné que les deux tiers du parc actuellement en fonctionnement ont été construits avant 1990, l’accentuation de la tendance au raccourcissement exogène de la durée moyenne d’exploitation des unités existantes entraînera automatiquement un déclin rapide de l’énergie nucléaire à l’échelle mondiale.

En considérant une durée de vie moyenne ramenée à ne serait-ce que 50 ans pour les réacteurs actuels, ajouté aux fermetures d’ores et déjà actées, c’est la moitié de la puissance installée mondiale qui disparaitrait d’ici à 2036.

*Uranium Exchange Company (UxC) : broker/trader d’uranium basé aux Etats-Unis 

Des non-constructions par dizaines

Tout comme l’accident de Tchernobyl en 1986, l’accident de Fukushima, avec la frénésie médiatique qui l’a suivi, a tué dans l’oeuf nombre de projets nucléaire à travers le monde.

En 2008, l’Agence Internationale de l’Énergie Atomique comptait au moins 50 pays qui pensaient introduire l’électronucléaire, dont 12 préparaient activement des programmes de construction de centrales. La Chine tablait sur une multiplication par 5 de sa capacité installée à l’horizon 2020, la Russie pensait doubler sa capacité en construisant 26 réacteurs de grande capacité et 10 plus petits avant 2022. L’Inde s’attendait à une multiplication par 8 de sa capacité nucléaire à la même date.

Le ralentissement de l’économie mondiale après 2008 a jeté un froid sur beaucoup de projets, mais en 2010 l’AIEA projetait(3) encore jusqu’à 803 GW de nucléaire mondiale en 2030 et 1415 GW en 2050.

En 2019, ces prévisions avaient reculé à 715 GW en 2050(4) (haute) et même 371 GW (basse) – un déclin par rapport aux 389 GW d’aujourd’hui.

« Fukushima », ou plutôt sa version fantasmée, était passé par là : parmi les pays nouveaux “actifs” en 2008 cités par l’AEIA, seule la Turquie a commencé un projet, qui reste poussif. Le Japon et l’Italie ont stoppé des programmes ambitieux juste après le séisme du Tohoku. En Suède, un projet de deux nouveaux réacteurs a été victime de l’avènement d’un gouvernement hostile en 2014. La Russie n’a mis en service que cinq grands réacteurs et deux petits. Seule la Chine a pu atteindre son objectif de 2008, malgré un arrêt d’un an des nouvelles constructions en réponse à l’accident nucléaire survenu au Japon.

II. Pourquoi parle-t-on de fermeture anticipée ou prématurée ?

Injonction politique

Les mouvements et organisations s’opposant au nucléaire sont reconnus et installés dans les milieux d’influence et dans l’imaginaire de l’opinion, en particulier occidentale, depuis les années 70, bénéficiant de moyens importants et d’une large audience. Que ce soit dans les pays déjà équipés en réacteurs nucléaires, ou dans ceux pouvant potentiellement le devenir, les hommes et femmes politiques sont nombreux qui craignent à juste titre les répercussions négatives sur leur image et sur les programme qu’ils veulent mettre en œuvre de la mauvaise publicité qu’une décision en faveur du nucléaire pourrait leur valoir. Se soumettre à cette pression explicite ou tacite pour éviter un affrontement où ils ont peu à gagner et beaucoup à perdre devient alors, pour ces décideurs, le résultat d’un calcul rationnel qui donne au sentiment anti-nucléaire un poids disproportionné dans les décisions de politique publique par rapport à sa réelle emprise sur l’opinion.

Les fermetures que nous classons dans cette catégorie ont fait les frais de ce type d’arbitrage sans justification technique ou économique factuelle et étayée.

Dégradation ciblée du contexte économique

Lorsque des critères économiques sont invoqués en justification de l’arrêt de certains réacteurs, ceux-ci apparaissent comme des prétextes de court terme.

Quand ces décisions sont effectivement prises par l’opérateur et ses actionnaires, la question devient en effet : y a-t-il quelque chose dans l’environnement compétitif et réglementaire de ces réacteurs qui pénalise leur rentabilité économique au point que leurs opérations puissent en être affectées, et qu’il devienne préférable pour l’exploitant de perdre son investissement plutôt que d’en poursuivre l’exploitation ?

Le cas échéant, pourquoi des pouvoirs publics pour qui environnement et climat font partie des objectifs de politique publique affichés, ont-ils choisi de promouvoir, ou de ne pas pénaliser, des moyens plus polluants (qui seraient plus chers si on les taxait au juste niveau de leurs impacts sanitaires et environnementaux) ou moins efficaces pour réduire les émissions de CO2 ?

Les opérateurs doivent-ils aussi artificiellement compenser le « coût de la peur » du nucléaire (dépenses de sûreté à outrance, et taux d’intérêt surévalués par rapport à la réalité objective du risque pour la période d’exploitation), peur entretenue par ces mêmes groupes d’opposants, qui vient encore ajouter au déficit de compétitivité engendré par les mécanismes discriminants entre les énergies, notamment face au gaz aux Etats-Unis, en Belgique, et bientôt de manière généralisée en Europe(5) ?

Voilà les questions auxquelles nous avons tenté de répondre pour justifier le classement de certaines fermetures dans la catégorie « fermeture économique induite par les actions des mouvements opposants au nucléaire et/ou du fait de l’abandon par les politiques publiques de lutte contre le réchauffement climatique ».

Raccourcissement artificiel de la durée d’exploitation

Ces fermetures sont anticipées car motivées par des raisons politiques ou économiques. Aucun des réacteurs parmi ceux que nous avons sélectionnés n’aurait été fermé autrement en raison de l’atteinte de sa fin de vie. Ils auraient tous pu voir leurs opérations se poursuivre dans un contexte optimal de performance et de sûreté.

La centrale nucléaire de Fessenheim était considérée comme exemplaire par l’ASN sur le plan de la sûreté(6), ce jusqu’aux semaines qui ont précédé son arrêt définitif(7), et était l’une des plus performantes du parc français.

Les réacteurs nucléaires encore opérationnels en Allemagne sont en parfait état de marche, et comptent parmi les plus performants au monde(8). Pourtant Fessenheim a été stoppée, et les derniers réacteurs allemands sont en sursis. Ceux qui travaillent dans le secteur industriel du nucléaire connaissent ces réalités, mais il est toujours utile de le rappeler.

Aux Etats-Unis, les centrales de Turkey Point et Peach Bottom ont récemment obtenu l’autorisation d’exploitation de la NRC jusqu’à 80 ans. D’autres devraient suivre. La plupart des centrales en activité l’ont déjà obtenu pour une période de 60 ans.

III. Pourquoi ce recul est-il une (très) mauvaise nouvelle pour la planète ?

Impact sur le climat

L’arrêt prématuré des réacteurs nucléaires entraîne un recours accru aux énergies fossiles. Ce fait est illustré par l’examen de l’impact de l’arrêt définitif, fin avril 2020, du réacteur numéro 2 de la centrale d’Indian Point qui alimentait New York en électricité bas-carbone.

Le graphique ci-dessous présente le mix électrique de l’Etat de New York avant et après cette fermeture, sur des semaines équivalentes en termes de consommation et de production d’électricité.

La puissance électronucléaire bas-carbone supprimée (12 gCO2/kWh) a été remplacée, quasiment mégawatt pour mégawatt, par de la génération au gaz (490 gCO2/kWh).

Source des données : New York Independent System Operator (NYISO)
Source intensités carbone : GIEC

L’Agence Internationale de l’Energie alerte de fait, et de manière de plus en plus insistante, sur la nécessité de garder en fonctionnement les centrales nucléaires existantes aussi longtemps que leur état est évalué positivement par les autorités de sûreté, notamment en Europe, pour se donner une chance de tenir les engagements climatiques internationaux(9).
 

Impact sur l’environnement

Ces arrêts prématurés, qui relèvent de l’obsolescence forcée, d’un gaspillage pur et simple, sont de fait anti-écologiques. Contrairement à tout ce qui les remplace pour assurer l’approvisionnement électrique correspondant, ces réacteurs opérationnels sont construits depuis longtemps, ne demandent que très peu de matériaux supplémentaires, occupent une surface réduite, et leur fonctionnement a un impact négligeable sur la biosphère.

L’installation de nouvelles capacités intermittentes extensives (éoliennes et panneaux solaires) peut permettre de réduire en partie l’exploitation des unités fossiles auxquelles elles sont adossées, lorsqu’il y a du vent ou du soleil, mais n’est pas en capacité de s’y substituer intégralement comme c’est le cas pour le nucléaire ou l’hydroélectrique.

IV. « Plus jamais ça » ? Dépasser le slogan et rentrer dans l’action

Agir sur le plan économique sur la base d’arguments techniques

Les centrales nucléaires préservent le climat. Les politiques volontaristes contre les émissions de CO2 préservent les centrales nucléaires.

La centrale de Beaver Valley en Pennsylvanie, « centrale de référence » de celle de Fessenheim construite sous licence américaine, dispose d’un agrément d’exploitation jusqu’à 60 ans (peut-être bientôt 80, là où on arrête sa version française au bout de 42 ans d’exploitation). Menacée de fermeture économique par les prix très bas du gaz aux États-Unis, Beaver Valley n’a finalement obtenu un sursis que grâce à… un projet d’augmentation de la fiscalité sur les émissions de CO2.

Ce qui a changé en Pennsylvanie c’est la décision de rejoindre un programme visant à limiter puis réduire progressivement les émissions de CO2 du secteur électrique. Celui-ci impose aux centrales à charbon, gaz et fioul le paiement d’une redevance sur leurs émissions.

Ce plan est essentiel pour préserver les dernières centrales nucléaires de Pennsylvanie, qui n’émettent pas de CO2 lorsqu’elles produisent de l’électricité, mais sont confrontées à la concurrence féroce des centrales fonctionnant au gaz naturel à bas prix.

(https://www.post-gazette.com/business/powersource/2020/03/13/Beaver-Valley-nuclear-plant-remain-open-past-2021-Shippingport-Energy-Harbor-FirstEnergy/stories/202003130149)

Agir sur le plan politique et médiatique

La mobilisation écologique pro-nucléaire compte.

L’écho international (https://www.linkedin.com/posts/voix-du-nucleaire_pro-nuclear-energy-protesters-rally-against-activity-6684802601483087874-DdYY) qu’a reçu notre petit rassemblement devant le siège parisien de Greenpeace France pendant la baisse de charge du second réacteur de Fessenheim en est un indicateur : l’existence et la manifestation (ostentatoire) d’une société civile se réclamant de la défense de l’environnement et pro-nucléaire éveille une nouvelle curiosité à l’égard de cette source d’énergie, fait naître le doute à propos des évidences d’hier la concernant, et la bienveillance envers son rôle possible aujourd’hui et demain.

« Sauvez la planète ! Sauvez les centrales nucléaires ! »

Si le chemin est encore long, cette visibilité médiatique permet une chose importante : redonner au nucléaire sa place dans le débat, réautoriser la parole de cet « éléphant dans la pièce » que constitue le nucléaire dans les discussions sur les politiques françaises, européennes, mondiales, de lutte contre le réchauffement climatique et lui donner, enfin, l’occasion d’avancer ses arguments.

Agir sur le plan personnel, au contact de la population

Lorsque l’on parvient à réintroduire le nucléaire dans le cadre d’un débat sincère et factuel, alors les faits (très) mal connus du public peuvent commencer à reprendre pied, et parlent d’eux-mêmes. Les citoyens disposent dès lors des moyens de questionner les certitudes qui leur ont été – et leur sont encore – servies, pour se réapproprier la compréhension de ces sujets et par là-même la capacité de décider pour eux-mêmes et dans leur intérêt.

Chacun peut participer à sa manière à la réhabilitation de ces faits, non pas pour convaincre ses interlocuteurs de devenir pro-nucléaire, mais pour dire qu’une opinion aussi engageante pour l’avenir collectif vaut la peine d’être fondée sur davantage que des ressentis.

…Et sur le plan… industriel ! 

Dans la même logique, les opérateurs peuvent participer, avec les moyens inestimables dont ils disposent, et avec panache, à la reconquête des faits. Imaginez que les vertus objectives, les bienfaits dont les centrales nucléaires font profiter la société soient visibles de tous, peints en lettres géantes sur leurs bâtiments réacteurs, sur leurs tours aéroréfrigérantes.

Imaginez le changement de regard que cela pourrait apporter, nous permettant de ne plus voir simplement ces centrales pour les amas de béton et de ferraille qu’elles sont, mais pour ce qu’elles font, et qui n’a pas à l’heure actuelle d’équivalent au service de l’humanité et de la planète.

C’est le sens que nous souhaitions donner à ces photos retouchées de la centrale de Fessenheim qui illustrent cette newsletter.

Pour les autres réacteurs en fonctionnement, il n’est pas encore trop tard.

Photo-montages : Julie Denegre

(1) Sources infographie :

(2) https://4thgeneration.energy/review-of-bp-annual-energy-report/
(3) Energy, Electricity and Nuclear Power Estimates for the Period up to 2050 , IAEA, 2010
(4) Energy, Electricity and Nuclear Power Estimates for the Period up to 2050 , IAEA, 2019
(5) https://www.euractiv.com/section/energy/news/meps-ban-nuclear-from-green-transition-fund-leave-loophole-for-gas/
(6) Rapport de l’ASN sur l’état de la sûreté nucléaire et de la radioprotection en France en 2019
(7) https://www.dna.fr/environnement/2020/06/17/la-centrale-de-fessenheim-va-s-arreter-sur-de-bonnes-bases
(8) WNA reactors database 2019
(9) https://www.iea.org/reports/nuclear-power-in-a-clean-energy-system
 

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