L’Europe et le nucléaire : épisode 4 – le Danemark

Les politiques Energie-Climat européennes et le nucléaire : une Union désunie

« A peu près toutes les excuses pour ne pas construire de centrales ont été entendues : c’est dangereux, cela coûte cher, la construction d’une centrale prend trop de temps et il est trop tard pour s’y mettre alors que nous avons besoin de réduire nos émissions rapidement. » Cela vous rappelle quelque chose ?

Cette phrase, c’est l’auteure de la Lettre de ce mois qui l’écrit, une jeune danoise, future physicienne, inquiète pour l’avenir de son pays et celui de la planète.

Elle évoque dans cette Lettre un projet énergétique parmi les plus innovants, les plus audacieux et visionnaires, mais sans doute également les plus onéreux et dangereux, que l’Union Européenne verra peut-être en son sein : une île énergétique, récupérant la puissance produite par des dizaines de champs d’éoliennes – 28 milliards d’euros pour 20 ans (tout au plus) de production de 3 GW, et peut être 10 GW par la suite, d’une électricité intermittente.

Est-ce à ce projet qu’elle fait allusion lorsqu’elle déplore les sempiternelles excuses invoquées par les politiciens de son pays pour ne pas engager les travaux ? Eh bien, non. Vous l’aviez deviné.

C’est qu’il existe un biais, parfaitement subjectif, qui pénalise systématiquement, ou même écarte durablement, tout projet nucléaire, et ce biais s’appuie sur des critères que le nucléaire partage pourtant avec la plupart des modes de production d’énergie, sinon tous.

Mais nous, Les Voix du nucléaire, sommes d’incorrigibles optimistes ; et nous avons choisi de penser que si ce biais fait obstacle à la résolution des défis majeurs auxquels nous devons faire face, le réchauffement climatique parmi d’autres, c’est qu’il reste inconnu du grand public. Nous avons décidé de faire confiance au fonctionnement démocratique ; nous considérons que nos élus, porteurs de nos mandats électoraux, œuvrent sincèrement à l’amélioration du bien-être collectif et individuel. Nous avons choisi de penser que l’honnêteté intellectuelle est la plus forte chez la plupart des personnes.

Dès lors nous nous sommes investis d’une mission, alors que les politiques publiques sur la transition énergétique s’ajoutent les unes aux autres, que ce soit au niveau de l’Union ou à celui des états membres. Notre objectif est de faire la lumière, toute la lumière, sur cette réalité : les politiques en matière de transition énergétique réservent à l’énergie nucléaire un traitement injuste, au mépris des faits.

La tâche s’avère aussi ardue qu’elle est urgente. Toutes les bonnes volontés sont les bienvenues.

Myrto,
pour les Voix

Retrouvez la lettre ouverte de 46 organisations environnementales et citoyennes, à l’initiative des Voix du Nucléaire, adressée à la présidente de la Commission Européenne Ursula von der Leyen cette semaine pour demander la reconnaissance du nucléaire dans la taxonomie européenne des investissements durables : lettre ouverte à la Commission Européenne.

Le Danemark, l’énergie et le nucléaire : une transition verte en écran de fumée et des préjugés qui entravent la décarbonation

Par Henriette Schön Svendsen

Etudiante en licence de physique à l’Université de Copenhague.

L’image que l’on a généralement du Danemark est celle d’un pays leader en matière d’énergie « verte » et renouvelable. Depuis les années 1990, le Danemark s’est en effet attaché à décarboner son secteur énergétique en augmentant la part du solaire et plus encore de l’éolien ; mais comme le solaire et l’éolien sont des énergies intermittentes, il fallait également une solution complémentaire pilotable excluant le charbon, le gaz et le pétrole.

En déplaçant les émissions de CO2 liées à la biomasse vers les pays producteurs de ces combustibles, le Danemark préserve sa réputation de pays à la pointe de l’écologie

 

Le rapport annuel de l’énergie publié en 2019 par l’Agence Danoise de l’Energie1 établit que 35% de la consommation énergétique danoise est produite à partir de sources d’énergie renouvelables. Le problème, c’est que jusqu’aux deux tiers de ces 35% proviennent de la biomasse et de bio-combustibles, étiquetés comme renouvelables. En déplaçant les émissions de CO2 liées à la production de biomasse vers les pays producteurs de ces combustibles, le Danemark préserve sa réputation de pays à la pointe de l’écologie. Au final, environ 10% seulement de l’énergie consommée par les danois est produite à partir de sources réellement bas-carbone, dont 8% produits par l’éolien – et ce, en dépit d’un développement soutenu de l’éolien sur les 30 dernières années.

Avec une telle approche, on est donc très loin des objectifs de réduction de 70% des émissions de CO2 d’ici à 2030 et de zéro-émission d’ici à 2050.

 

En 2019, le Danemark a consommé 715 Pétajoules (PJ) : 251,9 PJ étaient classées comme provenant de renouvelables, dont 163,3 PJ produites par biomasse. Seulement 58,1 PJ provenaient de l’éolien.
Source : Agence Danoise de l’Energie, Statistiques Energie 2019

Nous avons laissé la peur et la démagogie s’immiscer dans les décisions politiques

S’il l’on considère le seul secteur de la fourniture d’électricité, la part des sources d’électricité bas carbone en représentait tout juste la moitié en 2019, avec 47% pour l’éolien et 3% pour le solaire. Dans les quinze dernières années, le Danemark a augmenté sa dépendance vis-à-vis de l’électricité importée. En 2019, la consommation danoise s’élevait à environ 35 TWh, dont seulement 29 TWh était d’origine domestique. Lorsque le vent n’est pas suffisant, le Danemark dépend de l’électricité « sale » en provenance d’Allemagne et de l’électricité propre de la Suède et de la Norvège pour les 6 TWh restants.

Le Danemark ferait bien de s’inspirer d’un pays comme la France. En 2019, la production électrique française a été de 538 TWh et à 90% bas carbone, tandis que la consommation a été de 473 TWh. 71% de cette production provient de l’énergie nucléaire, 11% de l’hydraulique, 6% de l’éolien et 2% du solaire2 . Le déploiement large du nucléaire permet depuis plusieurs décennies un très faible niveau d’émission de CO2 du secteur électrique. Mais plutôt que de suivre cet exemple, les danois ont laissé la peur et la démagogie s’immiscer dans les décisions politiques.

 

                         Flux nets annuels d’électricité par pays voisin, et global          

Echanges nets d’électricité, chiffres communiqués en 2019.
Source : Agence Danoise de l’Energie, Statistiques énergétiques 2019

La pollution est devenue un sujet majeur d’inquiétude dans les années 1970 ; avec la crise pétrolière, le gouvernement a dû trouver une alternative au pétrole du Moyen-Orient dont le Danemark était très dépendant. Certains partis politiques étaient favorables à la construction de centrales nucléaires au Danemark ; un projet de loi, finalement adopté trois ans plus tard en 1974, définissait un cadre pour l’implantation d’une centrale nucléaire.

 

L’association OOA, très influente dans les médias et dans la classe politique, s’est faite beaucoup plus entendre

 

Mais la même année, une association appelée Association pour l’Information sur l’Energie Nucléaire (OOA en danois) voyait le jour ; il s’agissait en réalité d’un mouvement farouchement opposé au nucléaire. A l’image de Greenpeace, ce mouvement était très présent dans les débats, aussi bien dans la sphère publique que politique. En 1976, dans le premier plan énergie officiel du Danemark, la transition de l’énergie fossile vers le nucléaire se traduisait par la construction de 6 centrales nucléaires sur la période 1985 – 1999, mais l’ensemble du projet fut repoussé en raison d’une opposition de plus en plus forte.

Pour répondre à la vague de désinformation, un groupe de citoyens fonda l’association nommée REO cette même année 1976. Figuraient parmi les membres de ce groupe des physiciens de l’Institut Niels Bohr, et des techniciens travaillant sur le réacteur test de Riso. Ils se donnaient pour mission de fournir au grand public une information factuelle sur l’énergie nucléaire. Malheureusement, l’association OOA, très influente dans les médias et dans la classe politique, s’est faite beaucoup plus entendre.

Le logo « Energie nucléaire ? Non merci » en forme de soleil provient du mouvement antinucléaire danois des années 80. Il a été créé par un membre d’OAA.

En 1979, l’accident de Three Mile Island, bien que sans conséquences humaines ou environnementales, accentua la polarisation de l’opinion publique. Les manifestations contre le nucléaire s’amplifièrent et la génération née dans les années 70 se souvient encore parfaitement du mouvement « nucléaire, non merci » des années 80. La peur de l’accident nucléaire et des radiations fit descendre dans la rue des manifestants qui réclamaient la fermeture de la centrale nucléaire suédoise de Barsebäck – ce qui finit par arriver : le premier réacteur fut arrêté en 1999, le deuxième en 2005. La proposition d’inclusion du nucléaire dans le mix énergétique danois finit par disparaître complètement du Plan Energie en 1985.

 

Remplacer le charbon, le pétrole et le gaz par de la biomasse et développer la capacité installée éolienne de manière exponentielle procure au public un sentiment erroné de devoir accompli, en lui donnant l’impression que ce qui a été fait jusqu’ici est ce qu’il y a de mieux pour le climat et l’environnement, ce qui, en réalité, est faux dans les deux cas

 

Au cours des années 1990, l’industrie de l’éolien prit son essor et la part d’éolien dans l’électricité produite augmenta rapidement. L’industrie des renouvelables s’empara de l’inquiétude croissante autour du changement climatique et construisit un business autour. Il devint communément admis que les renouvelables représentaient le meilleur moyen de lutter contre les émissions de gaz à effet de serre. Cependant, pour le développement et le bien être d’une population, l’accès croissant à une source non-intermittente d’énergie est essentiel. Et ce n’est pas en remplaçant le charbon, le pétrole et le gaz en base pilotable par de la biomasse et en développant la capacité installée en éoliennes de manière exponentielle que le Danemark atteindra rapidement l’objectif de neutralité carbone. Au contraire, cette politique procure au public un sentiment erroné de devoir accompli, en lui donnant l’impression que ce qui a été fait jusqu’ici est ce qu’il y a de mieux pour le climat et l’environnement, ce qui, en réalité, est faux dans les deux cas.

La perception de l’énergie nucléaire comme représentant un risque important reste une opinion très dominante : les débats sur le sujet tournent principalement autour de la peur des accidents, des déchets nucléaires et de la radioactivité. Dans la sphère politique, à peu près toutes les excuses ont été entendues pour ne pas construire de centrales nucléaires : c’est dangereux, cela coûte cher, la construction d’une centrale prend trop de temps et il est trop tard pour s’y mettre alors que nous avons besoin de réduire nos émissions rapidement – les politiciens danois semblent avoir du mal à choisir parmi tous les lieux communs et sophismes circulant sur cette source d’énergie.

A présent, le prochain grand projet du Danemark est une île artificielle en Mer du Nord3 raccordée à 3 GW de capacité installée éolienne dans un premier temps, qui pourrait aller jusqu’à 10 GW par la suite. Le coût en est estimé à 28 milliards d’euros – ce qui n’inclut aucune capacité de production mobilisable en cas d’absence de vent, ni solution de stockage d’électricité – et sa mise en fonctionnement pourrait avoir lieu en 2033. Le ministre danois du climat vante le caractère visionnaire du projet. Les arguments mis en avant concernant le nucléaire ne s’y appliquent-ils pas ? Apparemment non pour la plupart des gens. Les associations de lobbying jouent un rôle croissant dans la vie politique, et de nombreuses décisions sont prises sur la base de l’avis d’« experts » émanant de groupes tels que NOAH, Greenpeace, Le Conseil Ecologique et autres, qui ont joué un rôle majeur dans la fermeture de la centrale de Barsebäck.

Projet d’île artificielle dans la Mer du Nord :
un relai géant pour l’électricité provenant des champs d’éoliennes

Un public plus large commence à s’intéresser à des informations n’émanant pas des soi-disant experts de Greenpeace, qui continuent à dominer le débat

Depuis quelques années cependant, on assiste à la croissance lente mais constante d’un activisme pronucléaire. La population est à la recherche d’éléments d’information factuels et soumet les politiciens à des questions, au doute et aux critiques en ce qui concerne la stratégie énergétique actuelle. REO poursuit ses efforts depuis de longues années, et on voit maintenant apparaître de nouvelles associations également prêtes à jouer un rôle.

L’association « Nucléaire, oui s’il-vous-plaît » (Nuclear power yes please) s’est formée en avril 2020 et ATOMiDA (un acronyme signifiant « l’énergie nucléaire au Danemark ») est encore plus récente. Le grand public commence ainsi à s’intéresser à des informations qui n’émanent pas des soi-disant experts de Greenpeace, lesquels continuent à dominer les débats dans les médias.

La dernière venue dans cette lutte pour la reconnaissance de l’énergie nucléaire est une filiale de la compagnie d’électricité suédoise Kärnfull Energi, dont le réseau s’est étendu pour fournir aux citoyens danois une électricité bas carbone. Il deviendra ainsi possible pour un danois d’acheter 100% de son électricité dans ce qui est produit par les centrales nucléaires suédoises, et même de soutenir la recherche en faveur de la construction de réacteurs nucléaires de nouvelle génération en donnant un certain montant pour chaque kWh acheté. En achetant des garanties d’origine, la quantité d’électricité que consommera un danois correspondra à une quantité équivalente produite en Suède par les centrales nucléaires suédoises. En soi, bien entendu les garanties n’auront pas grande signification, mais si la demande augmente, ce qui est vraisemblable, elles constitueront une base contribuant au maintien en opération des centrales existantes, voire à l’extension de la capacité installée : il est à espérer que cette demande ouvrira les yeux des politiciens danois.

Quoi qu’il en soit, il faut continuer à se battre pour que demain soit meilleur.

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