Opinion – Areva, les raisons de la chute

Article paru dans

Le journal Les Echos  

POINT DE VUE – Les difficultés d’Areva mettent en doute la capacité du nucléaire civil à constituer un modèle viable. Alors que s’ouvre le débat public sur la politique énergétique de la France, il faut s’assurer de comprendre comment, avec une telle assise, Areva a dû être morcelée dans un plan de sauvetage digne de la raison d’État. À la tête de l’industrie nucléaire mondiale et grâce aux qualités intrinsèques de l’énergie nucléaire, l’entreprise AREVA aura pourtant beaucoup contribué à la balance extérieure, l’indépendance énergétique, la qualité de l’air, le climat, la compétitivité des entreprises, la dynamisation des territoires, le pouvoir d’achat et le leadership scientifique et diplomatique de la France. De mauvaises décisions ont été prises impactant des finances déjà fragiles. Mais seules elles n’ont pas suffi. AREVA a traversé ce que les Anglo-saxons appellent une perfect storm : la conjonction de plusieurs évènements graves pris individuellement, insurmontables ensemble. Une véritable Blitzkrieg sur ses activités et sa structure financière.

Fukushima – pas de mort, mais une vague de désinformation et de lynchage médiatique aux conséquences multiples

Le 11 mars 2011, le Japon connaît le plus important séisme jamais enregistré et un tsunami de 14 m. Parmi tous les accidents qu’ils entraînent, celui de Fukushima domine les titres. Cinq ans plus tard, l’OMS et les Nations Unies apportent la conclusion (1) définitive que les émanations radioactives ne sont et ne seront responsables d’aucun mort ou malade. Les médias relaient aussi peu cette information qu’ils ont largement couvert les craintes initiales. Sous la pression réelle ou supposée des opinions publiques, la majorité des États retirent leur soutien au nucléaire. L’Allemagne ferme ses centrales et développe en masse éolien et solaire, mais aussi charbon et lignite pour compenser les absences de vent et de soleil. Des villages sont rasés, l’Allemagne accroît ses émissions de carbone et de particules, double le prix de l’électricité des particuliers et perturbe le marché européen menaçant tous les électriciens, dont EDF. Le Japon, autre client majeur, arrête l’ensemble de ses centrales nucléaires. Seuls 3 réacteurs sur 52 ont depuis redémarré, bien que 48 soient opérationnels (2). Des mesures sont imposées aux centrales du monde entier sans rapport avec leur exposition réelle aux risques. La pression réglementaire tourne à l’hystérie tout en exemptant les autres secteurs pourtant également concernés.

La crise financière de 2008 pénalise un peu plus les projets d’infrastructures

Les centrales nucléaires nécessitent un investissement important, risqué, long, à la rentabilité décalée dans le temps. Dans la tourmente qui suit la crise, les Accords de Bâle II contraignent les banques à des niveaux d’investissements et de risques plus limités. Financer une infrastructure requiert non plus cinq, mais cinquante banques et autant de coûts d’interface. Ceci ajouté à la désaffection des États, dont la garantie permettait de répondre aux critères de rentabilité exigés par les banques, la recherche de financement pour les nouvelles centrales passe de difficile et chère à rédhibitoire.

Le double impact de l’avènement précipité des énergies renouvelables intermittentes

Sans nucléaire et les populations ne voulant pas de nouveaux barrages, l’urgence climat pousse au retour du solaire et de l’éolien. Ils portent l’espoir de couvrir 80 % de nos besoins à la place des énergies fossiles malgré leur faible maturité technologique. La volonté impérative des États de les industrialiser alors qu’ils sont encore en phase de R&D conduit à des déséquilibres majeurs du système énergétique mondial. Les subventions massives et priorités d’accès au réseau dont ils bénéficient n’améliorent pas l’empreinte carbone, mais font suffisamment chuter les prix de gros pour que les bénéfices des électriciens non subventionnés ne couvrent plus ni leurs investissements ni leur quotidien opérationnel. Par ailleurs, l’illusion qu’une alternative au nucléaire est possible à court terme s’installe dans le paysage politico-médiatique. AREVA non seulement subit les difficultés de ses clients, mais, voulant compléter son offre décarbonée, perd des millions d’euros en investissements malheureux dans les énergies renouvelables.

Le gaz de schistes : une nouvelle ère pour les énergies fossiles

La révolution de l’accès au gaz et pétrole de schiste aux États-Unis entraîne dès 2010 la chute des cours des énergies fossiles, une résurgence mondiale du charbon et du gaz et l’effondrement de la compétitivité des énergies propres. Si éolien et solaire sont soutenus artificiellement, le nucléaire ne l’est pas. Les États-Unis sont les premiers à fermer des centrales parfaitement fonctionnelles pour des raisons économiques et mettent un frein définitif à tout investissement ainsi qu’aux projets de conquête d’EDF. AREVA, premier employeur américain dans le nucléaire civil, voit, là et ailleurs, son marché se rétrécir un peu plus.

La « Renaissance du nucléaire » mondial s’éteint, et avec elle, l’espoir de rentabilisation de milliards d’euros d’investissements stratégiques

En 2005, tiré par la Chine, l’Inde et les États-Unis, le monde se tourne de nouveau vers le nucléaire dans un contexte de flambée des prix du pétrole, réchauffement climatique et hausse annoncée de la demande en électricité. Certains scénarios annoncent un triplement des capacités d’ici à 2030 et un doublement du nombre de nations nucléarisées. AREVA investit lourdement dans un programme ambitieux de renouvellement de ses installations en vue d’assumer son rôle de leader mondial. Des efforts considérables sont menés en R&D, ressources humaines, capacités industrielles, réserves, contrats fournisseurs, etc. Mais lorsque la situation se retourne, ces avantages stratégiques se transforment en trous béants de trésorerie difficiles à combler.

La confiance ne se décrète pas, mais, appuyée sur les faits, elle se retrouve

La conjonction de ces évènements, ni propres à l’entreprise ni le reflet d’une supposée obsolescence de l’énergie nucléaire, aura conduit en 6 ans à la perte pour AREVA d’une grande partie de son chiffre d’affaires, de ses clients, de ses projets et à la non-rentabilisation de milliards d’euros de ses investissements. La désinformation autour de l’accident de Fukushima a eu par effet domino un rôle clé non seulement dans la faillite de plusieurs entreprises nucléaires mondiales, dont l’américain Westinghouse, mais surtout dans le fait que nous nous détournons de notre plus importante source d’énergie propre, alors que les particules font 23 000 morts par an et que le changement climatique tue déjà. L’industrie nucléaire française, en particulier AREVA, n’a pas failli de son fait et encore moins de celui de ses employés. Elle peut et elle doit retrouver dans sa nouvelle configuration les ressorts psychologiques à son redressement.

(1) UNSCEAR report on Fukushima Daiichi accident effects: http://www.unscear.org/docs/reports/2013/14-06336_Report_2013_Annex_A_Ebook_website.pdf , https://www.youtube.com/watch?v=rd3xYSpzbuk&feature=youtu.be (2) Par l’Agence Internationale à l’Energie Atomique, agence de l’ONU

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