Covid 19, sécurité d’approvisionnement électrique et résilience

Cher tous,

En période de crise, faire preuve de solidarité c’est d’abord tenir au mieux le rôle que l’on joue déjà pour les autres et pour lequel ils comptent sur nous. Le principe d’une société est celui de la répartition des tâches, fondée sur la réglementation et une certaine dose de confiance. Si tout le monde peut et doit avoir un avis, rares, en réalité, sont ceux capables de faire à la place des autres le métier qui est le leur.

Il s’agit donc, pour les uns, de continuer à assurer leur part de responsabilité avec professionnalisme, malgré les difficultés et y compris sous la critique, et pour les autres de les soutenir dans cet exercice.

Fournir une production électrique fiable en toutes circonstances n’échappe pas à cette règle et nous voulions, aux Voix, faire notre part en rappelant les conditions de cette fourniture et en remerciant par ce biais, ceux à qui nous la devons.

Nous avons demandé à deux membres des Voix, Jean Fluchère et Tanguy Firinga, représentants des deux générations les plus emblématiques de la crise, tous deux confinés, tous deux acteurs inlassables de cette compréhension et de cette reconnaissance, d’expliquer à la communauté que nous sommes les enjeux méconnus de la stabilité réseau.

Nous vous souhaitons à tous d’être en bonne santé, d’être parvenus au mieux à vous organiser pour vous et vos proches et, bien sûr, de respecter scrupuleusement les consignes de sécurité et donc de confinement !

Des bisous,
Myrto
pour les Voix

 

Covid 19, sécurité d’approvisionnement électrique et résilience

Tanguy Firinga

@Yugnat95

Ingénieur en développement logiciel, passionné par le secteur énergétique

Vulgarisateur sur les réseaux sociaux

Jean Fluchère

Ancien Directeur du Centre de Production Nucléaire du Bugey
Ancien Délégué Régional EDF en Rhône-Alpes

Le système électrique européen au rendez-vous de la crise

La pandémie de Covid-19 que traverse l’ensemble de la population mondiale est sans équivalent depuis l’épidémie de grippe espagnole des années 1918 – 1919. Afin de ralentir la propagation du virus COVID-19, de nombreux pays dans le monde ont été contraints de décréter le confinement de leur population.

Dans ce contexte, les réseaux de transports d’eau, d’énergie (électricité et gaz) et d’informations (Internet, télévision, radio) prennent une importance vitale. Ces systèmes techniques de grande envergure développés au siècle dernier font maintenant partie intégrante de notre quotidien et nous permettent de vivre, et, pour certains, de travailler quasiment sans sortir de chez soi.

Lumière, cuisson, chauffage, réfrigération, communication, système de soins et désormais mobilité, la « Fée Électricité » nous est devenue indispensable. Elle l’est particulièrement en ce moment, aux hôpitaux et à l’ensemble des services vitaux du pays qui sont aujourd’hui intensément sollicités pour garantir la prise en charge et le soin des malades.

La Fée Électricité – Raoul Dufy
(peinture offerte par EDF au Musée d’Art Moderne en 1967)

En France EDF, RTE et Enedis ont pris toutes les dispositions pour assurer la continuité de la production, du transport et de la distribution de l’électricité. La sécurité d’approvisionnement électrique et la stabilité des réseaux ne seront, a priori, pas menacées pendant la crise que nous traversons. Des mesures similaires de garantie de continuité de fourniture ont été prises dans tous les pays de l’UCTE (Union pour la Coordination de la Transmission de l’Électricité), liés à travers les interconnexions et le réseau électrique européen. Par ailleurs, la consommation a baissé de l’ordre de 10 % compte tenu de la mise à l’arrêt d’une partie de l’appareil productif.

« La sécurité d’approvisionnement électrique et la stabilité des réseaux ne seront, a priori, pas menacées pendant la crise que nous traversons. »

 

Pourtant le risque d’effondrement du réseau français s’est accru au cours des dernières années.

Qu’est-ce qu’un black-out ?

L’électricité étant un flux d’électrons dans un matériau conducteur, elle n’est pas stockable par définition. Cette contrainte oblige le gestionnaire du réseau (en France, RTE) à constamment assurer l’équilibre entre la production et la consommation.

La consommation a toujours été variable. La production le devient également, et de plus en plus. Ajuster l’un à l’autre devient dès lors un exercice de plus en plus complexe et risqué. Un déséquilibre entre consommation et production, non maîtrisé par les gestionnaires de réseau, entraînerait une baisse ou une hausse de la fréquence qui pourrait engendrer l’écroulement du système électrique d’un pays, puis, tel un château de carte, celui du réseau continental entier.

Pour équilibrer la production en fonction de la demande, le gestionnaire dispose donc de nombreux outils de régulation, le premier étant la production à la hausse ou à la baisse des centrales pilotables comme les barrages ou les centrales thermiques (nucléaire, fossile et biomasse). Ces dernières doivent ajuster leur production à la demande résiduelle, à laquelle l’énergie produite par les énergies fatales1 (hydraulique au fil de l’eau, éolien et photovoltaïque) n’aura pas su répondre.

« Un déséquilibre entre consommation et production, non maîtrisé par les gestionnaires de réseau, entraînerait une baisse ou une hausse de la fréquence qui pourrait engendrer l’écroulement du système électrique d’un pays, puis, tel un château de carte, celui du réseau continental entier. »

Un black-out, autre nom donné à l’effondrement du système électrique, durerait au moins plusieurs heures et aurait, dans nos sociétés ultra électrifiées et notamment en pleine journée, des répercussions graves :
  • Plus de lumière, de chaleur, de chaîne du froid ou d’approvisionnement en eau potable.
  • Plus de moyens de communications quels qu’ils soient, téléphone, internet, informatique, télétravail, télévision, radio.
  • Plus de commerces et d’approvisionnement alimentaires et pharmaceutiques.
  • Arrêt de la circulation ferroviaire, de la circulation aérienne, des métros, des tramways.
  • Plus de feux de circulation et blocage complet de la circulation non seulement en ville mais sur les autoroutes en raison des péages et des blocages des stations-service.
  • Arrêt des usines, pour lesquelles de nombreuses productions en cours passeraient au rebut.
  • Impossibilité pour les moyens de secours de se déplacer en raison du blocage de la circulation urbaine et périurbaine.
  • Dans le résidentiel et les immeubles de bureaux, plus de chauffage quel qu’il soit, plus de réfrigération, plus d’éclairage, plus d’aération et de ventilation, et impossibilité d’accès dans de nombreux cas en raison des ouvre-portes, du blocage des ascenseurs.

Enfin, la reconstruction du réseau (black-start dans le jargon des électriciens) pourrait durer plusieurs jours et reposerait très majoritairement sur les barrages hydroélectriques ainsi que sur les rares moyens de production pilotables qui auraient réussi à s’auto-alimenter en circuit fermé (“îlotage”).

 

Quelle est la situation européenne et comment impacte-t-elle la France ?

Le système électrique français est interconnecté au système électrique des autres pays de la plaque continentale européenne, depuis Dublin jusqu’à Athènes et de Lisbonne jusqu’à Bucarest, au sein de l’ensemble appelé UCTE. Le contexte actuel de stabilité de cette plaque n’est pas des plus rassurants.

De nombreux pays (France, Belgique, Allemagne) ont déjà fermé, et souhaitent continuer à fermer des moyens de production pilotables (centrales à charbon et nucléaires) dégradant les marges de manœuvres des gestionnaires de réseaux. En France, la fermeture du premier réacteur de la centrale de Fessenheim en février qui sera, a priori, suivi du second en juin prochain, puis de plusieurs centrales à charbon dans les années à venir, participent à cette dégradation. RTE a d’ailleurs alerté2 sur l’impact de ces fermetures sur la sécurité d’approvisionnement. Pour la période 2019-2022, cette dernière est estimée “ajustée au plus près des besoins”, et “sous vigilance” pour la période 2022-2023.

D’autre part, l’introduction massive de nouveaux moyens de production intermittents comme l’éolien et le photovoltaïque se généralise. La combinaison de ces deux tendances a considérablement complexifié la gestion des réseaux électriques.

Dans le cadre de sa transition énergétique (Energiewende), l’Allemagne a fermé de nombreuses centrales nucléaires et a installé un parc renouvelable intermittent dont la puissance a dépassé celle de l’ensemble des moyens pilotables. Cette dernière doit maintenant faire face à des variations (ou gradients) de puissance de plus en plus élevées.

Un bon exemple est peut-être la semaine du 15 avril au 21 avril 2019 lors de laquelle les 4 gestionnaires de réseaux allemands eurent à effacer puis redémarrer quelques 30 GW de moyens pilotables, chaque jour, entre 5 h et 20 h, pour faire face aux seules fluctuations de l’ensoleillement ! 30 GW représentent le démarrage ou l’arrêt de la moitié du parc nucléaire français !

« Il y a exactement un an, les quatre gestionnaires de réseaux allemands eurent à effacer et redémarrer, chaque jour entre 5h et 20h, l’équivalent de la moitié du parc nucléaire français, pour faire face aux seules fluctuations de l’ensoleillement ! »

Le 19 avril entre 8h et 9h, la puissance solaire a crû, en une heure, de 7,5 GW (environ l’équivalent du parc nucléaire allemand résiduel), et décru d’autant de 17 à 18 h. L’éolien n’est pas en reste : le lundi de Pâques (22 avril 2019) a enregistré des gradients de + 13 GW/h, puis -10 GW/h. Ces gradients sont à la limite de ce que peut supporter la stabilité du système électrique européen.

« Ces variations sont à la limite de ce que peut supporter la stabilité du système électrique européen. »

La stabilité du système électrique UCTE repose, avant tout, sur les capacités propres de chaque pays à faire face avec ses moyens pilotables, et ensuite, sur la capacité des interconnexions à permettre aux uns de voler au secours des autres. Mais ces dernières sont limitées et, par ailleurs, les variations d’ensoleillement et de vitesses des vents sont les mêmes sur toutes les côtes ouest. Donc les gradients mesurés en Allemagne peuvent également survenir simultanément en Espagne, en France, en Belgique et aux Pays-Bas et tous peuvent se retrouver en difficulté au même moment. Au fur et à mesure de l’introduction croissante de capacités intermittentes, ce qui était une force collective devient de plus en plus un risque collectif.

Ces variations sont à la limite de ce que peut supporter la stabilité du système électrique européen. Afin de réduire ces violents gradients, les gestionnaires de réseau peuvent réaliser des “écrêtements”, c’est-à-dire limiter l’électricité injectée sur les réseaux en déconnectant une partie de ces sources intermittentes. Il faut alors indemniser les producteurs qui perdent ainsi une partie de leur production ce qui augmente les coûts de gestion du réseaux.

Conséquences de la crise sanitaire en cours sur la stabilité du réseau

 

La crise sanitaire en cours n’impacte pas la capacité des entreprises à garantir la continuité du service de fourniture d’électricité aux français du point de vue de leur organisation. Ces situations, aussi exceptionnelles soient elles, ont été anticipées et les organisations responsables se sont immédiatement configurées pour y faire face.

« Dans le contexte de la crise sanitaire en cours, la difficulté vient de la combinaison entre baisse importante de la consommation et part importante des capacités intermittentes sur le réseau. »

La puissance appelée est plus faible ce qui conduit à arrêter plusieurs moyens pilotables alors que les variations de puissance éoliennes et photovoltaïques restent les mêmes. Les moyens de régulation à la hausse et à la baisse de la production sont donc encore plus limités qu’en temps normal. Dans le contexte de la crise sanitaire en cours, la difficulté vient de la combinaison entre baisse importante de la consommation et part importante des capacités intermittentes sur le réseau.

Les conséquences d’un black-out à l’échelle européenne seraient très importantes en temps normal ? Elles sont inimaginables dans la situation actuelle :

  • Tous les services hospitaliers et toute la médecine de ville seraient totalement inopérants. Les hôpitaux et les cliniques sont dotés de groupes électrogènes de secours mais l’expérience montre qu’ils ne répondent pas tous à la sollicitation et qu’ils ont une autonomie limitée. Cela poserait alors de graves problèmes dans les salles d’opération, dans les services de réanimation et pour les soins intensifs des personnes hospitalisées,
  • Toute la fabrication des matériels de protection, respirateurs, tests, serait arrêtée à un moment où la pénurie est extrême.
  • Les personnes confinées seraient coupées de l’extérieur
Garder des moyens de production pilotable est non seulement nécessaire pour assurer la stabilité des réseaux et la sécurité d’approvisionnement mais également pour augmenter la résilience de nos systèmes énergétiques en cas de crise majeure comme celle que nous traversons aujourd’hui.

« Garantir à tous l’accès à une électricité fiable, abordable et peu impactante pour l’environnement, fait partie des 17 objectifs du développement durable des Nations Unies. »

Garantir à tous l’accès à une électricité fiable, abordable et peu impactante pour l’environnement, fait partie des 17 objectifs du développement durable des Nations Unies. En France, le service public de l’électricité repose en grande partie sur l’exploitation d’un parc électronucléaire et hydraulique fournissant une électricité pilotable à la fois bon marché mais aussi très peu émettrice de gaz à effet de serre sur cycle de vie complet. 

Ces moyens de production sont un atout pour la France et pour l’Europe, charge à chacun de nous de contribuer à le faire savoir.

Ces énergies ne pouvant être pilotées, leur production « s’impose » au réseau, elles sont donc, par défaut en quelque sorte, traitées comme prioritaires
2 https://media.rte-france.com/securitedapprovisionnementenelectricite20192025/

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